Calendrier de l’avent : 2

Lisa réajusta les écouteurs de son iPhone sur ses oreilles et fredonna les paroles de la chanson de Willie Nile : Streets of New York.
Deux joggeuses la dépassèrent en courant tandis qu’un groupe de cadres buvaient leur café en marchant d’un pas rapide vers leur banque tout en discutant sur le cours du Dow Jones. Elle entra dans le Starbuck, éteignit son portable et attendit patiemment son tour comme tout New-Yorkais. Jamais il ne lui serait venu l’idée de prendre la place d’un autre.
Elle commanda un double expresso et, quand elle fut servie, elle s’assit sur un tabouret devant la vitre donnant sur l’avenue. Elle appuya sur play, puis rajouta du sucre dans sa tasse. Son son regard se perdit dans la rue.
Sa journée de travail s’achevait, elle pouvait souffler avant d’attaquer la suivante, totalement différente. Willie Nile laissa place à Harry Belafonte et son New York Taxi. Et pour répondre à la chanson, toute une vague de taxis jaune passa devant elle en file ininterrompue, comme si les rues de New York leur appartenaient et qu’ils avaient chassé tous les véhicules. Les taxis, un autre des symboles forts de New York.
Lisa dégusta son café, et huma l’odeur qui régnait dans le Starbuck. Elle savoura cet instant de tranquillité qu’elle s’accordait, un moment rare dans sa vie de folie. Elle regarda sa montre, vingt heures trois, encore trente minutes avant d’attaquer sa seconde journée, trente minutes de calme.
Elle but une nouvelle gorgée, ferma les yeux et les rouvrit aussitôt en sursautant. Elle renversa du café sur la table. Le corps nu d’une jeune femme venait de s’imprégner dans son esprit. Elle essaya de chasser cette vision, mais rien n’y fit. Elle pensa au match de basket auquel elle avait assisté la veille, sans résultat. Elle ferma à nouveau les yeux, et se concentra sur la voix chaude de Belafonte en imaginant tous les taxis de New York roulant dans les immenses avenues. La chanson n’était plus qu’un lointain murmure et les taxis n’existaient plus pour elle. Le visage tuméfié de la jeune femme demeurait gravé dans son cerveau.
Lisa comprit qu’elle ne s’en débarrasserait aussi facilement. Quatorze années dans la police new-yorkaise, cela laissait des traces indélébiles. Quatorze années à voir des cadavres, et elle ne s’y habituait toujours pas. Sans parler des interrogatoires des criminels, violeurs et autres monstres engendrés par la ville. Quatorze années sans véritable répit, à toujours combattre le crime, sans espoir de gagner la partie.
Avec la pression de la hiérarchie et des politiques pour qui New York devait être une métropole sûre. Une ville où les touristes pourraient se promener la nuit dans le métro sans risquer une agression. La police était presque arrivée à ce résultat. Le crime avait quitté en grande partie le quartier de Manhattan pour se réfugier dans les autres boroughs. Le maire était content de sa politique sécuritaire et maintenant il pouvait s’attaquer au danger des boissons gazeuses et à l’obésité. Un fléau autrement plus difficile à éradiquer que la mafia.
Et pourtant des assassinats se déroulaient toujours dans la Grosse Pomme, comme celui commis la veille et dont l’enquête lui avait été confiée. Une femme d’une vingtaine d’années, belle, blonde, sans doute originaire d’Europe de l’Est, sûrement une prostituée, avait été sauvagement tuée.
Vu la violence des coups portés sur le visage et sur le corps, Lisa avait d’abord parié pour un mac pas satisfait de la recette. Seulement, sur le ventre de la femme étaient peints de façon abstraite deux immeubles côte à côte avec, juste au-dessous des seins : un soleil. Et, au centre de l’astre, un point rouge où le tueur avait frappé.
Lisa ne savait pas si le dessin se trouvait là avant le meurtre ou s’il était l’œuvre de l’assassin. Selon la réponse à cette question, son enquête pouvait prendre des tournures différentes. Elle attendait les résultats de l’autopsie que devaient lui communiquer le lendemain matin ses collègues. Ensuite, elle savait qu’elle devrait plonger dans le monde glauque de la prostitution ou pire, dans le cerveau d’un malade.
Mais ce soir, elle ne voulait plus penser à la jeune fille ni à son meurtrier. Cela serait dur, mais elle devait y arriver.

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