Archives mensuelles : mai 2018

À New York, une sculpture de rhinocéros à taille réelle semble défier les lois de la gravité

À New York, une sculpture de rhinocéros à taille réelle semble défier les lois de la gravité

À New York, une sculpture de rhinocéros à taille réelle semble défier les lois de la gravité
par Lisa Miquet

Au milieu de l’agitation du Midtown de Manhattan, à travers les vitres de la 5e avenue, on peut apercevoir un imposant rhinocéros autour duquel de nombreux objets fabriqués par l’homme semblent graviter. On peut voir une photocopieuse, une porte de voiture, un sac à main, un aspirateur, une pelle et même une table. Semblant flotter dans l’air, comme en apesanteur, ces objets font un affront à l’attraction terrestre.

Et pourtant, loin de flotter, le rhinocéros et ses objets ont été sculptés en aluminium par l’artiste suisse Urs Fischer. Réalisé à échelle réelle, l’animal a été fabriqué à partir du scan 3D d’un rhinocéros empaillé. Cette silhouette de plus de 3 mètres est traversée d’objets du quotidien, une manière pour l’artiste d’aborder notre propre transformation : comme le rhinocéros, nous absorbons tout ce qui vient dans notre voisinage, nous subissons une métamorphose constante, si progressive qu’elle s’avère souvent indétectable.

Cette créature extraordinaire composée d’objets ordinaires permet aussi à Urs Fischer d’aborder notre existence qui est, pour lui, une accumulation, un rassemblement de bagages physiques et métaphoriques. Comme le relate le New York Times, l’artiste a déclaré que la création de cette œuvre a été un « processus de huit ans de travail, qui vient de sentiments et de pensées et se déplace ensuite progressivement vers différents objets ou différentes formes qu’il peut prendre ».

Mélangeant une figure qui rappelle la préhistoire et des objets modernes, monde naturel et produits manufacturés, l’artiste joue habilement avec les contrastes. Il en résulte une œuvre visuellement percutante. Intitulée Things, qui signifie « chose », en français, l’œuvre est exposée par la galerie Gagosian à New York jusqu’au 23 juin.

Édito. New York, cité des rêves

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Une outrance de plus. Le 16 mai, Donald Trump comparait les immigrants illégaux venus du Mexique à des “animaux”. L’ancien promoteur immobilier a-t-il regardé de près la ville qui a fait sa fortune ? Sait-il à quel point New York reste la capitale mondiale des immigrants ? Que depuis la fondation de La Nouvelle-Amsterdam à la fin du XVIIe siècle, des millions d’hommes et de femmes y ont débarqué en quête d’un avenir meilleur ou simplement pour survivre ? Que ces “masses innombrables aspirant à vivre libres”, selon le poème d’Emma Lazarus gravé dans la statue de la Liberté, ont bâti une ville magique, avec cette frénésie que rien, pas même ce président rétrograde, ne semble pouvoir interrompre ?

Car si New York avec son Empire State Building et ses quartiers huppés de l’Uppper East Side semble, à bien des égards, appartenir à l’ancien monde, l’énergie de la métropole et de ses 8,5 millions d’habitants, elle, n’a jamais faibli. Celle qui accueillait avant 1914 un million d’arrivants chaque année compte aujourd’hui un habitant sur trois né à l’étranger. Venus hier d’Europe ou de Russie, les futurs New-Yorkais affluent désormais de toute la planète et viennent tisser les nouveaux métissages de la ville. En 2016, la “job machine” de New York City a créé presque un demi-million d’emplois. Et sur les 274 milliards de dollars de salaires que Manhattan verse chaque année à ses travailleurs, près d’un tiers va dans la poche des immigrants. La ville vient de dépasser la Corée du Sud dans le classement des puissances économiques. Et surtout, à chaque croisement de ses rues et de ses avenues, dans la vapeur d’eau que crachent les égouts, les klaxons de ses taxis ou les sirènes de police, les mille clichés visuels ou sonores rappellent cette promesse sans cesse renouvelée : “New York avait eu sur moi l’effet qu’il a sur tout le monde : il avait ouvert le champ des possibles. L’espoir avait ressurgi”, disait Nathan Zuckerman, un des héros de Philip Roth*. Un espoir que partagent les 120 000 immigrants de la “cité des rêves” qui ont obtenu la naturalisation américaine l’an dernier**.

* Dans Exit le fantôme, Philip Roth, Gallimard (2009).
** City of Dreams : The 400-Years Epic History of Immigrant New York, Tyler Anbinder, Houghton Mifflin Harcourt, 2016.
Eric Chol
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Le mot du jour. “Manhattanhenge”, le solstice de Manhattan

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Les New-Yorkais désignent par ce vocable un phénomène qui se produit autour du solstice d’été : le soleil couchant s’aligne alors parfaitement avec les rues orientées est-ouest à Manhattan, baignant la ville d’une lumière fascinante. On pourra admirer le premier Manhattanhenge de l’année ce mardi 29 mai.
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Il s’agit du “phénomène le plus mystique et le plus magique que l’on puisse observer l’été à New York”, s’enthousiasme le site Travel + Leisure. Chaque année, habitants et touristes se pressent en différents points de la ville de New York pour admirer dans les meilleures conditions le phénomène dit du “Manhattanhenge” (aussi appelé “solstice de Manhattan”). Contraction de “Manhattan” (l’un des cinq principaux quartiers de New York) et de “Stonehenge” (le nom d’un célèbre monument mégalithique situé dans le sud de l’Angleterre), le mot désigne un événement astronomique qui se produit deux fois par an, avant et après le solstice d’été.

« Studio 54 » : le trailer du documentaire sur le plus célèbre des clubs de New York est sorti !

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Diffusé au festival du film de Sundance en janvier 2018, le trailer du film Studio 54, a enfin été dévoilé. Réalisé par Matt Tyrnauer, le documentaire retrace le parcours de Ian Schrager et Steve Rubell, les propriétaires du mythique Studio 54, temple de la démesure et des excès en tous genres. Au coin de la porte du club situé sur la 54e rue à New York, on croise Andy Warhol, Michael Jackson ou encore Yves Saint Laurent. En salle et en VOD le 15 juin 2018.

À New York, le succès des cabines à sieste

Moyennant quelques dollars, les Américains se laissent tenter par la sieste dans ces établissements ouverts à toute heure du jour et de la nuit.

Les New-Yorkais dorment peu et sont considérés comme de grands consommateurs d’expressos ou de cocktails survitaminés. Mais depuis peu, la Ville qui ne dort jamais se met à la méridienne et des « cabines à sieste » y fleurissent en masse. C’est excellent pour la santé.

Moyennant quelques dollars, on peut y louer de petits habitacles en bois, à toute heure du jour ou de la nuit. « C’est très difficile de trouver la paix et la tranquillité à New York », explique Stacy Veloric, de l’entreprise Nap York. « Nous voulions pouvoir accueillir les New-Yorkais épuisés. »
Un dollar pour une minute

Et les Américains en ont bien besoin. Selon le Centre de prévention des maladies, un tiers d’entre eux ne dorment pas suffisamment, ce qui provoque des soucis de santé et de productivité au travail.

Avis sur Manhattan Marilyn un thriller sur New York

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Avant de commencer ma critique, je vous avouerai qu’au départ, le titre ne m’avait pas séduit. Mais comme le résumé semblait intéressant, je me suis laissé tenter. Et ce fut une bonne décision! Comme quoi il ne faut pas toujours se fier à la couverture ou au titre.

Commençons d’abord par le résumé. Dans Manhattan Marilyn, on suit l’histoire d’une ancienne Marine du nom de Kristin Arroyo. Jeune retraité de l’armée, elle consacre ses énergies à militer contre les inégalités entre les riches, qui représente le 1% de la population et… les 99% autres qui représente les minorités.

Elle découvre dans les affaires de son grand-père d’anciens clichés inédits de Marilyn Monroe. Aidée par un photographe, elle décide de monter une exposition. Mais tout ne se déroule pas comme prévu. Pourchassée, traquée, la jeune femme va rapidement comprendre que son destin est lié à celui de Marilyn Monroe et s’efforcer de reconstituer les derniers jours de l’égérie hollywoodienne afin de percer le mystère qui entoure sa disparition.

Ce thriller est tout simplement fantastique. L’histoire est fluide et très bien ficelée. Divisé en 7 parties, le livre, qui se lit très rapidement ne comporte quasiment aucun temps mort. L’action y est omniprésente. L’idée de l’auteur, Philippe Laguerre, d’avoir mélangé la fiction avec des faits historiques rajoute un plus indéniable. Ce qui m’inquiétait à un moment donné, c’était qu’en ayant une histoire mêlant passé et présent, l’univers dans lequel l’auteur nous transporte soit un peu confus à certains moments. Mais tout est écrit pour éviter ce piège et au final, on se retrouve dans une histoire extrêmement captivante qui se lit d’un trait.

Les évènements dans le livre, que ce soit les combats, les poursuites ou autres sont bien décrites, mais sans déborder. On a l’impression que tout est bien dosé et ceci rend la lecture encore une fois très agréable.

J’ai aimé le fait qu’on aborde le thème de la théorie du complot. Rares sont les romans qui l’abordent et celui-ci le fait bien. Qui plus est, cette approche, très actuelle, rend l’histoire encore plus intéressante.

Malheureusement, j’ai trouvé la fin un peu moins intéressante. Mais en même temps, toute bonne chose à une fin! Alors, je n’ai pas à me plaindre.

Au final, il en ressort un thriller très bien ficelé, fluide et agréable à lire que je ne peux que recommander à tout ceux qui aiment l’histoire, le suspens et les intrigues.

Je remercie l’auteur pour ce Service de Presse. Si vous désirez vous procurer son livre, vous n’avez qu’à cliquer sur ce lien: Manhattan Marilyn

Douglas Kennedy : son voyage le long de la ligne A du métro new-yorkais

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New York – Douglas Kennedy (texte), Ben Lowy (PHOTOS) / GEO – Jeudi 24 mai 2018

On nous avait promis une journée dans une forêt enchantée ; un Elysée de verdure, de hautes ramures et de feuillages dorés. On nous avait fait miroiter des trésors enfouis – et, peut-être bien, la mise au jour de pointes de flèches façonnées par les anciens résidents indigènes, depuis longtemps disparus. On nous avait prévenus que nous allions bientôt pénétrer dans ce royaume perdu que l’on appelle l’ancien temps.

Mais pour atteindre ce pays magique, il nous faudrait prendre la ligne A.

Nous étions des petits citadins de downtown, inscrits dans une école élémentaire progressiste de l’East Village, à Manhattan. L’année : 1962. Le mois : octobre, pendant ces semaines cruciales où notre président (John Fitzgerald Kennedy) jouait au poker nucléaire avec les Soviets à cause de missiles braqués sur nous depuis l’île socialiste de Cuba, à soixante-dix kilomètres à peine des côtes américaines. Bien sûr, personne dans ma petite classe n’avait conscience de ce qui se passait – tout juste percevions-nous d’anxieuses conversations chuchotées entre nos parents, ou les murmures de nos maîtres d’école soupesant les risques de destruction mutuelle.

Voyage au bout du monde

Mais la vie devait bien continuer, et on nous promettait depuis des semaines une expédition vers l’extrémité septentrionale de notre île. Nous devions aller visiter un parc appelé Inwood, où les Américains natifs vivaient autrefois dans des tipis, et où ils chassaient leur gibier – et se protégeaient contre l’ennemi – avec des arcs et des flèches.

Vous vous rappelez, lorsque vous aviez 7 ans, combien une année paraissait interminable ? Et comme une sortie familiale en voiture déclenchait toujours une attaque d’ennui suffocant ponctué de «On arrive bientôt» ? Pour les enfants que nous étions, partir vers le nord depuis l’angle de la 11e Rue et de la 2e Avenue (où était située notre école) pour rallier la 207e Rue, tout en haut de l’Upper West Side, s’apparentait à endurer l’intégralité du Crépuscule des dieux de Wagner. Il fallait se rendre à pied de l’école à Astor Place, prendre la ligne 6 jusqu’à Grand Central Station, puis la navette vers l’ouest jusqu’au métro de la 8e Avenue, puis enfin, une fois à bord d’une rame de la ligne A, patienter encore trois quarts d’heure jusqu’au terminus.

«Mais on va au bout du monde !» s’était lamentée une de mes camarades de classe.

Elle n’avait pas tort : la ligne A est longue, très longue. Elle démarre à l’extrême limite nord de la ville et s’incurve dans la longueur de Manhattan telle une gigantesque colonne vertébrale souterraine avant de plonger sous l’East River. Ensuite, elle traverse le ventre mou de Brooklyn et fait surface quelque part dans le Queens, d’où elle file tout droit vers l’Océan. C’est donc un voyage qui vous emmène littéralement de la forêt à la mer – mais qui le fait dans le cadre hyperurbanisé d’un des plus importants foyers d’activité humaine de la planète.

Pour parler de manière plus évocatrice, cette ligne du métro de New York fut rendue mythique par un prodigieux standard de jazz – Take the «A» Train – enregistré pour la première fois en 1941 par le grand Duke Ellington et composé par son fidèle génie musical à demeure, Billy Strayhorn. Cet immense héros méconnu de la musique américaine fut arrangeur pour le big band du Duke et l’auteur de nombreux classiques d’Ellington. Son Take the «A» Train est non seulement un indémodable standard de jazz, mais aussi un hymne indissociable de New York, tant il exprime de manière emblématique le rythme swing et syncopé de la ville. En tant que piliers d’Harlem – le principal quartier afro-américain, à une époque où sévissait encore la ségrégation raciale –, Strayhorn et Ellington connaissaient tous deux le «A» Train, qui les ramenait chez eux depuis le monde blanc situé en deçà de la 110e Rue.

Pour un New-Yorkais de troisième génération comme moi, né et élevé sur l’île de Manhattan, la ligne A fait depuis toujours partie de la géographie intime. Depuis ce premier voyage interminable vers Inwood Park en 1962, elle demeure une constante dans mon quotidien new-yorkais.

Mais le New York de notre époque inquiète est une construction mentale entièrement différente de la ville de mon enfance. Et il m’apparaît clairement que, comme toute grande ligne de transports publics, la A est bien davantage qu’une immense canalisation urbaine divisant par le milieu une longue portion de ma ville ; c’est aussi un reflet souterrain de ses contradictions et complexités actuelles. Ainsi m’est venue cette idée : prendre une journée pour descendre sous terre et effectuer un relevé barométrique de la psyché du New York moderne. Je prendrais la ligne A d’un bout à l’autre, et j’en descendrais de loin en loin pour prendre le pouls de l’époque dans ma cité natale.

Au terminus de la 207e Rue, j’avise tout de suite un restaurant appelé The Capitol, qui semble tout droit sorti des années 1950 : un vrai vieux rade, décrépit, dont le nom s’étale au-dessus de la porte dans cette grasse calligraphie d’après-guerre qui rappelle les meubles Eames et la splendeur des néons de Broadway – avant que cette avenue ne se transforme en centre commercial. Là, les immeubles sont bas, résidentiels, et la langue prédominante est l’espagnol. Commerces locaux : un salon de manucure, une quincaillerie, deux ou trois bodegas. Pas un Starbucks à l’horizon, ni une de ces chaînes de pharmacies (Duane Read, CVS, Walgreens) qui se propagent pourtant comme des métastases dans le panorama new-yorkais… au point que l’on n’est jamais à plus d’une minute à pied de leurs maudites officines (un vrai saccage visuel).

New-York, une ville qui « arnaque tout le monde, sauf les riches »

Inwood – comme s’appelle ce quartier – a conservé son caractère. Hormis une échoppe de bagels, peu de signes de gentrification sont arrivés jusqu’ici. Le parc est aussi vaste et verdoyant que dans mes souvenirs de la fameuse sortie scolaire. Mais à présent, des décennies plus tard, habiter ce coin du nord de Manhattan autrefois ultra-isolé est devenu coûteux. Devant une agence immobilière, j’ouvre des yeux ronds en apprenant qu’un appartement de 120 mètres carrés avec vue sur le parc se vend désormais 730 000 dollars. Il fut un temps où Inwood coûtait une bouchée de pain – parce que c’était crasseux et qu’il fallait traverser des quartiers chauds pour y arriver. A l’époque, le métro était un lieu où l’on risquait des dommages corporels graves une fois la nuit tombée. Cela jusqu’au mandat municipal de Rudolph Giuliani : un homme politique doté d’un penchant certain pour le manichéisme et de certitudes jésuitiques, qui fit de New York la ville que nous connaissons actuellement, plus sûre, plus inoffensive, plus ouverte aux ultrariches, moins agressive. Ce qui eut pour effet de transformer des coins comme Inwood – autrefois considérés comme à peu près aussi accessibles que le Groenland – en lieux «intéressants», avec des prix à l’avenant.

«Ho, vieux, tu files un dollar ?»

Celui qui me parle est un Afro-Américain d’une soixantaine d’années, émacié, aux dents pourries, dont les vêtements ne semblent pas avoir été lavés depuis l’été (et nous sommes à la mi-octobre). A voir le matelas en mousse crasseux qu’il porte sur son dos, il doit dormir dehors.

Il est posté juste à l’entrée de la station. De mon côté, je m’escrime avec ma carte de métro, mais le tourniquet, bloqué pour je ne sais quelle raison, me refuse le passage. Le SDF, voyant cela, tire par la manche un agent d’entretien, un jeune Hispanique, environ 25 ans, en uniforme bleu réglementaire mais avec le regard azimuté d’un gros fumeur de joints.

«Hep, toi ! Ce type est en train de se faire entuber par la ville», dit le SDF en me montrant du doigt.

Le balayeur m’ouvre aussitôt le portillon de secours et me fait signe d’approcher. «Je voudrais pas que vous vous fassiez avoir par cette foutue ville. Même si elle arnaque tout le monde – sauf ces salauds de riches. Alors vous voyez, je me fous de savoir si vous payez le voyage ou non. Allez, passez. Par contre, faudrait donner quelques dollars à notre ami, là.»

Je glisse un billet de cinq au SDF.

«Ça va me payer le déjeuner ! lance-t-il en me donnant une tape dans le dos. Ça me botte, moi, vos conneries de Bon Samaritain.»

Tout le monde parle, à un volume considérable

Les reparties de ce genre n’ont rien de surprenant pour les natifs de New York tels que moi. Prenez le métro à Londres (comme je l’ai fait pendant vingt-trois ans) et vous remarquerez que le silence règne en maître. Les conversations sont chuchotées, les regards ne se croisent pas, et cette variété très anglaise de misanthropie qui consiste à fuir toute interaction avec autrui dans un lieu public est poussée à son maximum. Le métro de New York, en revanche, est un théâtre permanent – hautement vocal et interactif, parfois un peu extrême et avant-gardiste, voire à la limite de l’absurde. Et tout le monde parle. A un volume considérable.

Une fois en sous-sol, alors que je saute dans une rame, j’entends une voix tonner à l’autre bout de la voiture : «J’lui ai dit : la prochaine fois qu’il essaie ses trucs de pervers au pieu, je grave mes initiales dans sa queue.»

C’est une femme très blonde en pantalon moulant de cuir blanc et veste en cuir blanc assortie, juchée sur d’impressionnants talons aiguille. Elle mâche du chewing-gum avec une régularité de métronome et parle dans un iPhone blanc.

«Pourquoi je suis fumasse ? C’est toi qui me poses la question ? Tu vois pas pourquoi je te casse les couilles avec ça ? Mais parce que c’est toi qui m’as foutu ce gros naze dans les pattes. Je vais te dire, c’était comme me faire niquer par un doughnut à la crème.»

Le plus merveilleux, dans cette tirade, est que personne dans la voiture n’est le moins du monde incommodé par ces confessions intimes à forts décibels. La rame se met à rouler vers le sud… et je me retrouve assis face à un couple d’une trentaine d’années au look résolument non-branché : grosses lunettes, vêtements en fibres naturelles qui fleurent bon la communauté dans le Vermont, chaussettes dans sandales. La femme sort un vieux bocal de sa besace en toile. Il est empli d’un liquide violet foncé. Elle en dévisse le couvercle et le tend à son homme. «Crois-moi, la betterave et le sureau, ça te fait passer une IVU en moins de deux.» IVU, autrement dit une infection des voies urinaires. Est-elle elle-même en pleine crise de cystite, ou administre-t-elle ce breuvage de science-fiction violet vénéneux à son compagnon parce qu’il souffre le martyre chaque fois qu’il doit soulager sa vessie ? Ah, les grandes questions sans réponses de la ligne A…

Nous roulons toujours vers le sud. Je descends à la 168e Rue. Washington Heights. Un quartier toujours hautement latino. Résistant encore à l’influx de café latte et à la barbiche de hipster – même s’il est lui aussi devenu désirable en raison de son époustouflant capital architectural. Des blocs et des blocs de vénérables immeubles d’habitation, des rues où l’oeil n’est jamais arrêté par la laideur de tours modernes en verre et acier, une ambiance très village, communautaire, soudée. Un vrai barrio de Manhattan.

Repartons vers le sud. Un jeune monte à la 148e Rue. Mince comme un fil. La petite vingtaine. Peau cappuccino, étroit pantalon gris, chemise grise, pompes pointues en alligator gris, petit feutre gris sur la tête, énormes lunettes noires carrées de l’époque glam rock, imper en plastique transparent. De gros écouteurs plaqués sur les oreilles, il chante à tue-tête ; d’une voix fausse et sans pitié pour nos tympans. A côté de lui, deux ouvriers du bâtiment, apparemment : 28 ou 29 ans, en sweat-shirt, casquette de base-ball, petite bedaine de bière, chaussures de chantier à coque métallique.

«Elle arrête pas de me dire : fais-moi encore un gosse. Moi, je lui réponds : comment tu veux qu’on se paie une cinquième bouche à nourrir ? Purée, je fais déjà vingt heures sup par semaine, et on arrive à peine à joindre les deux bouts. Et elle, elle veut un gosse de plus ?»

Bienvenue à Trumpland – où la classe moyenne américaine, encore stable naguère, se voit forcée de se battre au quotidien pour rester à flot dans une société qui a peu à offrir en matière de filet de sécurité, et où le darwinisme social est l’éthique dominante.

Je descends à la 125e Rue. Il y a trente ans, montrer mon visage très blanc dans les rues de Harlem serait revenu à réclamer les ennuis. De fait, à peu près tout ce qui se trouvait au nord de la 110e Rue (excepté les alentours de l’université Columbia) était considéré comme une zone où l’on ne mettait pas les pieds, un terrain à haut risque. Mais aujourd’hui…

Aujourd’hui, voilà que je déambule sur l’artère principale de Harlem, consterné de voir cette voie de circulation légendaire envahie par les forces de l’uniformisation. Oui, l’Apollo Theatre, ce sanctuaire de la musique soul, conserve intacte sa magnificence. C’est toujours l’un des derniers grands music-halls à l’ancienne de la ville, un rappel de l’extravagance visuelle des années 1920. Et, oui, c’est aussi un des saints des saints de la musique populaire aux Etats-Unis. Mais juste à côté, un promoteur a installé une enseigne de la marque Banana Republic. En face, c’est un magasin Gap. Et une salle de sport. Et le Starbucks de rigueur, et les enseignes de pharmacies. Certes, on s’y sent en sécurité. Certes, ce n’est plus un ghetto, bien que l’horizon soit hérissé de hideuses cités HLM construites dans les années 1960 et 1970. Et certes, Harlem est en bonne voie de gentrification. Mais constater que les fades emblèmes du consumérisme moderne ont dépouillé la 125e rue de sa fantastique personnalité fait mal au coeur. L’une des grandes malédictions de l’uniformisation est que partout où elle passe, tout se ressemble.

La ligne A fonce ensuite vers le sud, sans arrêt de la 125e à la 59e Rue. Deux musiciens montent à bord juste au moment où nous démarrions, tous deux chargés de gros tambours africains. Ils s’installent dans un espace libre du wagon et annoncent qu’ils vont jouer un morceau venu du Sénégal. La vélocité du métro semble les aiguillonner, à voir le rythme effréné que prennent leurs rafales de percussions à l’approche de la station suivante. Puis, en faisant passer le chapeau, l’un d’eux déclare : «Quelques dollars chacun, et on pourra dîner ce soir. Si vous êtes fauchés, on aime bien les sourires aussi.»

Presque tout le monde leur tend un dollar ou deux, à part un vieux bonhomme qui se tourne vers le quêteur pour lui dire : «Vous voulez me rendre sourd ? Je déteste les tam-tams, bon sang.»

Le métro : un voyage à travers la ville… et les classes sociales

A la 59e Rue, deux costard-cravate montent dans le wagon. Propres sur eux, trapus, plus très jeunes, en tenues Brooks Brothers similaires : veste sans inspiration et pantalons assortis, chemise, cravate à rayure. L’uniforme de l’Amérique au bureau. «Je viens d’acheter à Brad ses premiers clubs de golf, dit l’un.

— Il a quoi, douze ans ?

— Onze ! Mais il faut le voir se servir d’un fer 5 !»

Des clubs de golf à onze ans. Ça sent la belle banlieue résidentielle, ça. Bien rangée, bien bourgeoise.

Arrêt suivant : 42e Rue. Du temps de mon adolescence, l’intersection 8e Avenue-42e Rue était l’épicentre du New York sordide. Des cinémas pornos pour les deux sexes. Des prostituées à tous les coins de rue. Des junkies. Les perdus et les égarés. Des types qui n’auraient pas hésité à piquer son sac à un naïf tout juste descendu du bus à la gare routière de Port Authority – encore un endroit labellisé à l’époque «vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir».

Ah oui, 42e Rue et 8e Avenue, dans ma jeunesse, c’était assez picaresque. Et l’endroit fut la cible d’un sérieux nettoyage à la Giuliani dans les années 1990. La 42e Rue, c’était Sin City, la Ville du Péché – avec des cinémas ouverts toute la nuit où la pipe ne coûtait pas cher au balcon (on voit ça dans le film Macadam Cowboy). A présent, la ville est ce qu’on appelle dans le jargon du marketing une «destination familiale», avec comédies musicales de Disney, antenne du musée de cire Madame Tussaud, boutiques où l’on vend des Nike et des casquettes de base-ball, chaînes de restaurants, que sais-je encore.

Si cela me manque, les putes, les sex-shops, le fait de marcher sur des seringues hypodermiques abandonnées par un toxico se shootant à l’héro au coin de la rue ? Pas du tout. Mais l’insipidité de la 42e Rue aujourd’hui symbolise à elle seule une ville qui fut un jour abordable, crasseuse, dangereuse mais aussi interlope et pleine de vie. La ville sale et malfamée de Lou Reed, de Patti Smith, du Taxi Driver de Scorsese… ces mean streets ont été largement châtrées par l’asepsie du capitalisme moderne. Et New York y a perdu son âme ténébreuse.

Poursuivons vers la 4e Rue Ouest. Le coeur de Greenwich Village. Un lieu où les clubs de folk ont en grande partie créé ce quartier jadis bohème – ainsi que ses célèbres petits cafés où, au début des années 1970, un jeune moi adolescent allait siroter un expresso (denrée difficile à dénicher à l’époque) dans un café italien de MacDougal Street en s’imaginant à Rome (ma vraie rencontre avec cette ville serait pour plus tard). Bob Dylan écrivit une chanson intitulée Positively 4th Street alors qu’il faisait ses débuts dans des clubs des environs. Du passé, il reste un vestige – le Blue Note – et un autre bar de jazz non loin, The Zinc. Le Village n’est plus bohème. Il est devenu élégant, recherché, absurdement hors de prix –, mais c’est toujours une des entités architecturales les mieux préservées de la ville. A condition de pouvoir acquitter le prix d’entrée.

Mon escale suivante sur la ligne A est Fulton Street. Manhattan devient très étroite à son extrémité basse. En se tournant vers la droite au sortir de la station, on voit se dresser de toute sa hauteur la Freedom Tower sur l’ancien site du World Trade Center – et l’on repense forcément au 11-Septembre, qui demeure un événement pivot dans l’histoire moderne et dont les ramifications continuent de redessiner la géopolitique mondiale. Alors qu’en prenant vers l’est, on se perd vite dans un dédale de petites rues pleines de boutiques de confection pour hommes où se fournissent les cadres moyens, de petites échoppes d’électronique coréennes, et de tailleurs. Ces commerces résolument ringards me charment – parce qu’ils me rappellent l’époque où tous les quartiers de New York abritaient des petits magasins comme ceux-là… dont la plupart ont été chassés par l’inflation des loyers.

Retour au métro : la ligne passe ensuite sous le fleuve. Nous quittons Manhattan. Et ressortons dans Brooklyn. Un borough cher à mon coeur – mes deux parents y étant nés, dans des quartiers populaires – où je me rendais un week-end sur deux pour aller voir mon grand-oncle et ma grand-tante maternels allemands. Ils étaient juifs, comme ma mère, et avaient fui l’Allemagne en 1938, juste après la Nuit de cristal. Ils furent mon premier lien avec ce que nous, les Américains, appelons «le Vieux Monde», d’autant plus qu’ils parlaient allemand entre eux et que leur appartement de Flatbush nous ramenait directement au XIXe siècle.

Brooklyn aujourd’hui, sur la ligne A :

High Street : la sortie pour Brooklyn Heights. Vastes maisons de ville, un parfum du vieux New York d’Edith Wharton, toujours vaillant et préservé avec amour (même si, évidemment, la haute société de ses romans n’aurait jamais envisagé de s’établir à Brooklyn), des perspectives splendides sur Manhattan. Brooklyn Heights fut à une époque un haut lieu de la vie de bohème. Les écrivains qui y élurent domicile avaient pour nom Henry Miller, Hart Crane, Truman Capote, Paul Bowles, Norman Mailer, W. H. Auden. A présent, l’endroit appartient aux banquiers de Wall Street qui ont les moyens de débourser des millions pour une vue sur le fleuve.

Quelques minutes de plus sur la ligne, et nous voilà à l’intersection des avenues Kingston et Throop, en bordure d’un quartier appelé Bedford-Stuyvesant. Ou, dans l’idiome local : Bed-Stuy. Dans les premières années de notre nouveau siècle, c’était encore le plus dur des ghettos. Violence des gangs, violence du trafic de drogue : le risque de finir violemment amoché était élevé. Désormais, alors que le reste de Brooklyn est financièrement hors de portée des jeunes artistes qui y affluaient encore il y a vingt ans à cause des loyers bas et de l’ambiance BoHo, Bed-Stuy est soudain à la mode. Un ami écrivain qui vit par là-bas depuis cinq ans me disait récemment : «Le jour où Bed-Stuy sera trop cher pour les artistes, on saura que la ville aura changé au point de ne plus être reconnaissable.»

Jésus est partout, même sur la ligne A

Après Grant Avenue, la ligne A commence à monter. Et tout à coup, on se retrouve en plein air. Dans le borough du Queens. Face à Ozone Park : une banlieue intérieure peuplée d’immigrants, appréciée après guerre par les familles de la classe ouvrière italienne. Maintenant, ce sont de vastes communautés latino-américaines, asiatiques et antillaises qui y sont installées. C’est encore un monde de rangées de maisons mitoyennes proprettes, d’entrepôts et d’églises catholiques sérieuses, imprégné d’une solide identité col-bleu. Un peu plus loin sur la ligne, c’est Aqueduct. Mon grand-père maternel, un joaillier du Diamond District à Manhattan, y allait «à la piste» – c’est-à-dire, en jargon new-yorkais, qu’il allait jouer aux courses. Aqueduct a toujours été l’endroit où parier sur les chevaux et voir son champion arriver bon dernier. L’hippodrome est toujours là. Mais à côté se dresse un gigantesque «casino multiplex» aux couleurs criardes – qui vante ses 4 000 machines à sous.

Un homme monte à Howard Beach, coiffé d’une casquette «Jésus est votre ami» et porteur d’une grosse boîte en plastique remplie de chocolats. «Je voudrais juste 25 cents de chacun de vous pour pouvoir manger aujourd’hui. Achetez-moi des chocolats… s’il vous plaît.»

C’est la cinquième fois du voyage que quelqu’un mendie parce qu’il a faim. Ainsi va le monde, pas seulement à New York, mais dans toutes les grandes villes d’aujourd’hui. Nous sommes presque revenus au XIXe siècle en ce qui concerne le fossé entre les nantis et les indigents.

Je lui tends un dollar.

«Soyez béni, monsieur, me dit-il. Et n’oubliez pas : Jésus est toujours là pour vous.

— Même sur la ligne A ?»

Il sourit. «Toujours, sur la ligne A.»

Avant la fermeture des portes à Howard Beach, je flaire des effluves salins dans l’air urbain. Quelques minutes plus tard, nous traversons un viaduc, au-dessus de remous bouillonnants : l’eau de l’Atlantique, houleuse et agitée à l’approche de l’aéroport Kennedy. Très vite, on se sent quasiment en mer. Nous passons devant des maisons sur pilotis, battues par les éléments, et de petits voiliers caracolant sur les vagues. L’espace d’un instant, je pourrais jurer me trouver dans un port de pêche du Maine et non dans un recoin de la ville de New York. Plus on avance vers l’est, plus la mer affirme son emprise sur le paysage. Nous voici à Rockaway – une zone toujours largement ouvrière, où les habituelles erreurs architecturales brutalistes des années 1970 se mêlent à des villas que l’on s’attendrait plutôt à voir sur les plages proches de Boston. Pourtant, là aussi il y a la plage. D’ailleurs, tous les derniers arrêts de la ligne A ont le mot beach dans leur nom.

Je saute du wagon à Beach 44. En sortant de la gare, je descends quelques marches et un petit chemin me mène directement sur une longue étendue de sable. Le ciel est maussade, indécis. La mer moutonne. J’ai la plage pour moi seul. Le décor idéal pour une promenade à pied. Bien sûr, New York est réputé pour ses plages urbaines : Riis Park, Jones Beach, Coney Island. Mais là, à Rockaway, j’ai vraiment l’impression de me trouver tout au bord du Nouveau Monde, les yeux plongés dans le grand au-delà de l’Atlantique. Et je me rends compte que cette balade sur la ligne A m’a fatalement poussé à de longues interrogations sur les identités toujours changeantes de New York ; qu’une grande ville est une construction flexible, en réinvention perpétuelle, pour le meilleur et pour le pire.

Une pluie légère se met à tomber. Je repars vers le métro. J’attends la rame pendant dix minutes. Elle est pratiquement vide. Encore deux arrêts en bord de plage, et nous atteignons Far Rockaway. Le métro s’arrête dans un ultime hoquet. Les portes s’ouvrent. Je descends. Je gagne la rue. Far Rockaway est gris, morne, dur, authentique. Et c’est le bout de la ligne.

La fronde des New-Yorkais contre Airbnb

Reportage La fronde des New-Yorkais contre Airbnb Claire Alet 2Pour lire l’article4/05/2018

Une rue bordée d’arbres du quartier new-yorkais de Hell’s Kitchen, ancien repère d’artistes devenu branché, à quelques encablures des néons de Times Square : sur la porte d’entrée d’un immeuble de quatre étages, comme on en trouve tant dans Manhattan, une affiche indique qu’il est interdit d’entrer. « La prochaine étape, ce sera le tribunal pour le propriétaire », lance Tom Cayler, 68 ans, habitant du quartier et membre du comité des hôtels illégaux de la West Side Neighborhood Alliance (WSNA)1 [1].

Afin de favoriser la location classique de longue durée dans l’Etat de New York, il est interdit depuis une loi de 2010 de louer son logement pour moins de trente jours, à moins d’y être présent. Ce qui revient pour les touristes, à louer une chambre chez l’habitant mais pas un logement entier. Des agents municipaux2peuvent attribuer des amendes aux propriétaires ne respectant pas la réglementation, voire interdire la location du logement et, en dernier recours, mener des poursuites judiciaires.

Christopher a grandi et habite dans l’immeuble incriminé : « Ici, cinq appartements sur onze au total sont entièrement dédiés à la location de courte durée. » Tout le rez-de-chaussée et le deuxième étage sont occupés par des appartements que l’on peut louer sur des plates-formes comme Airbnb. « C’est la même chose dans l’immeuble voisin », poursuit-il. « Mes voisins ont peur. Pour les New-Yorkais, la sécurité tient beaucoup au fait de connaître les gens qui vivent dans leur propre immeuble. Mais la plus grande préoccupation, c’est que notre quartier de Hell’s Kitchen en est train de devenir une zone morte. »

Dortoirs airbnb

Selon le site indépendant InsideAirbnb, on comptait 48 852 annonces à New York City sur le site Airbnb en mars dernier. La Grosse Pomme est la troisième ville en nombre d’annonces actives sur Airbnb, après Paris et Londres. La moitié de ces annonces new-yorkaises proposaient la location d’un logement entier et 49 % d’entre elles offraient une disponibilité supérieure à soixante jours par an. Toujours selon ce site, 27,3 % des annonces new-yorkaises sont publiées par des multiloueurs, c’est-à-dire des personnes ou des entreprises qui louent plusieurs chambres dans un même logement, ou proposent plusieurs logements entiers. Ces données sont autant de faisceaux d’indices de locations illégales. Ce sont autant d’appartements qui viennent grignoter le marché de la location « normale », déjà sous pression.

La part d’augmentation des loyers entre 2009 et 2016 imputée à la présence d’Airbnb serait de 21,6 % à Chelsea et de 18,6 % dans les quartiers branchés de Greenpoint et Williamsburg, à Brooklyn Twitter

Dans un récent rapport [2], le contrôleur financier de la ville de New York, Scott M. Stringer, a montré que pour chaque point de pourcentage de part de logements Airbnb dans un quartier, les loyers augmentaient en moyenne de 1,58 %. Par exemple, dans le quartier du West Side, où vivent Christopher et Tom, la part d’augmentation des loyers entre 2009 et 2016 imputée à la présence d’Airbnb serait de 11 %. Cette part grimpe à 21,6 % dans les quartiers voisins de Chelsea, Clinton et Midtown Business District ou à 18,6 % dans les quartiers branchés de Brooklyn appelés Greenpoint et Williamsburg. « Le développement des sites de partage d’hébergements comme Airbnb renforce le problème d’accès à des logements abordables », affirme Scott M. Stringer dans son rapport.

Une proposition de loi visant à obliger les hôtes à afficher sur l’annonce l’adresse exacte de la location afin de faciliter les contrôles devrait être soumise au vote avant l’été Twitter

La députée démocrate de l’Etat de New York, Linda Rosenthal, reçoit dans sa permanence, un grand deux pièces modestes sur la 72e rue, à une vingtaine de blocs de Hell’s Kitchen. « La plupart des annonces publiées sur Airbnb sont illégales, mais elles sont si nombreuses qu’il faudrait avoir des effectifs considérables pour effectuer un contrôle suffisant », explique-t-elle. Elle a déposé une proposition de loi visant à obliger les hôtes à afficher sur l’annonce l’adresse exacte de la location afin de faciliter les contrôles. Elle devrait être soumise au vote avant l’été. Mais, là aussi, cette tentative de régulation fait face à de nombreux détracteurs, soutenus par la plate-forme : « Airbnb engage les services de très nombreux lobbyistes », assure Linda Rosenthal. Par exemple, la plate-forme a engagé les services d’un acteur, Danny Glover, qui a confirmé au journal Politico être rémunéré pour cela, afin de manifester en faveur d’Airbnb. Sans compter qu’une proposition de loi concurrente, soutenue par un sénateur républicain de l’Etat de New York, John J. Bonacic, vise au contraire à assouplir la législation en vigueur. Cependant, la députée Linda Rosenthal n’en démord pas : « Il faut se mobiliser pour que certains quartiers de New York ne deviennent pas des dortoirs Airbnb. »

A San Francisco, les pouvoirs publics locaux ont imposé aux hôtes de s’enregistrer auprès de la municipalité. Ils avaient plus de quatre mois pour le faire, entre septembre 2017 et janvier 2018. Un délai au-delà duquel leur annonce était ôtée du site. Selon le San Francisco Chronicle, cette mesure a eu un effet massif : le nombre d’annonces sur les sites tels que Airbnb et HomeAway, qui s’étaient engagés à enlever les annonces sans numéro d’enregistrement, a été réduit de moitié.