New York : un immeuble mythique à l’abandon

Cliquez ici pour lire l’article

Grandeur et décadence de Morgan House

Elsa Conesa / Correspondante à New-York | Le 17/08 à 07:00

En plein coeur de Wall Street, ce bâtiment de trois étages fut pendant près d’un siècle l’épicentre de la finance mondiale.
Il est aujourd’hui laissé à l’abandon, au grand dam des New-Yorkais.

Il est si petit qu’on le surnomme le « coin ». Difficile d’imaginer que ce modeste bâtiment de trois étages au style néoclassique, curieux polygone coincé entre des tours qui lui cachent la lumière, fut un temps l’épicentre de la finance mondiale. Son histoire fait pourtant partie du patrimoine de Wall Street : le 23 Wall Street fut pendant presque tout le XXe siècle le siège de la banque la plus célèbre et la plus puissante d’Amérique, celle de John Pierpont Morgan. Ce qui lui valut un autre patronyme, celui que les New-Yorkais préfèrent, la « maison de Morgan » (Morgan House). Un blason si puissant que les architectes n’ont même pas jugé utile de l’inscrire sur le fronton du bâtiment.

Erigé à la fin du XIXe siècle, ce minuscule morceau de rue n’est pas le plus ancien de Wall Street, ni même le plus spectaculaire d’un point de vue architectural. Pourtant, sa légende dépasse de loin celle de ses prestigieux voisins. En 1882, Thomas Edison alluma dans ce qui était un modeste bureau de courtage la toute première lampe alimentée par une centrale électrique au charbon qu’il venait d’installer quelques rues plus bas. On raconte aussi que lorsque John Pierpont Morgan racheta le site en 1912, il paya le prix au mètre carré le plus élevé jamais versé à New York. Il faut dire que l’emplacement était stratégique : en plein coeur de Wall Street, le bâtiment fait face, d’un côté, à la Bourse, de l’autre, à Federal Hall, premier hôtel de ville de New York et premier Parlement du pays.

John Pierpont Morgan investit beaucoup d’argent dans ce qui devait devenir sa nouvelle vitrine. Il fit reconstruire le bâtiment, volontairement plus bas que le précédent – une provocation pour l’époque ! Et prit soin d’aménager un intérieur cossu, avec un imposant lustre Louis XV en cristal et des lambris en chêne. JP Morgan est déjà la banque des grandes fortunes américaines.

Un symbole

Le lieu devient vite un symbole. Le 16 septembre 1920, une bombe cachée dans un fiacre explose devant le bâtiment, tuant 38 personnes et blessant 143 autres. Le souffle est tel qu’il projette un véhicule qui circulait deux rues plus loin. On soupçonne les Russes. « Il n’y a aucun doute, c’est un coup des bolcheviques », lance au « New York Times » John Markle, un magnat du charbon présent au moment de l’explosion. Soucieuses de ne pas perturber les marchés, les autorités décident de rouvrir la Bourse dès le lendemain, effaçant les traces qui auraient permis d’identifier les auteurs du tout premier attentat à Wall Street. Bien plus tard, une enquête conclut à la responsabilité d’anarchistes italiens, mais ceux-ci ne seront jamais arrêtés. Les entailles dans le marbre de la façade provoquées par l’explosion, elles, sont encore visibles aujourd’hui.

La banque prospérant, elle s’agrandit. En 1957, un immense building est élevé à l’arrière de la « maison de Morgan », donnant sur Broad Street, pour abriter les nouvelles activités. Puis, à la fin des années 1980, une page se tourne ; JP Morgan déménage pour une tour plus moderne, un peu plus haut dans la rue. Pendant quelque temps, l’établissement conserve le « coin », qui a entre-temps été classé, pour y organiser des conférences et des événements. Et finit par céder l’ensemble à un fonds d’investissement lié au diamantaire Lev Leviev, qui investit alors à tour de bras dans l’immobilier à Manhattan. Mais tandis que le grand bâtiment de Broad Street est aménagé en appartements de luxe, le 23 Wall Street est, lui, laissé de côté. En 2008, il fait les frais des difficultés financières du fonds et atterrit dans le giron d’un conglomérat sino-angolais, dans des conditions qui restent mystérieuses. China Sonangol tire, en effet, sa richesse du pétrole d’Angola et de l’or du Zimbabwe, et le 23 Wall Street est son seul bien immobilier aux Etats-Unis. Depuis qu’il en est le propriétaire, il n’a jamais évoqué le moindre projet et n’a pas investi un seul dollar dans son actif, de sorte que le lieu est aujourd’hui à l’abandon.

Pistes d’aménagement

Pourtant, l’adresse continue de faire rêver les grandes marques et les promoteurs immobiliers. De nombreuses pistes d’aménagement ont été évoquées – un Apple Store, une galerie marchande, le nouveau siège de la Bourse. Tous restés sans suite. Le « coin » sert épisodiquement de décor pour des séances de photo, des défilés de mode ou pour le tournage de films. Il a ainsi incarné le siège de la Bourse de Gotham City, dans le dernier opus de Batman. Mais son triste état et ses fenêtres noircies désolent les amoureux de la ville. « C’est l’un des plus grands mystères de l’immobilier à New York. Pourquoi le 23 Wall Street, bâtiment historique magnifique mais négligé, est-il vide ? », s’interrogeaient ainsi les chroniqueurs du « New York Post » en fin d’année dernière, exhortant ouvertement des investisseurs américains à faire une offre de reprise. Aux dernières nouvelles, un projet de centre commercial pourrait y ouvrir ses portes l’année prochaine, avec des restaurants, des magasins, et… un bowling. Un bowling dans la maison de Morgan ? Les New-Yorkais, eux, n’y croient pas.

Elsa Conesa, Les Echos

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/journal20150817/lec2_finance_et_marches/021258710855-grandeur-et-decadence-de-morgan-house-1144822.php?R3s4hXhdX7hrsK5y.99

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *